Lire la suite …

Catégories:

Récemment diffusé par la chaîne ARTE, le film Armadillo, du réalisateur danois Janus Metz, expose une vision crue et sans parti pris du conflit afghan, loin des habituels clichés du reportage. Plus abouti que le Restrepo de Sébastian Junger et du regretté Tim Hetherington, il sonne aussi plus juste dans sa tentative de nous transmettre une expérience de la guerre telle qu'ont pu la vivre des soldats projetés dans le lointain Afghanistan.

Film crépusculaire et magnétique, à l'image des polars et séries télévisées qui ont déjà conquis la planète, Armadillo semble confirmer la virtuosité narrative des Scandinaves, même lorsqu'il s'agit d'un sujet aussi difficile que la guerre en Afghanistan. Janus Metz n'a pas failli au savoir-faire de ses pairs en racontant l'expérience d'une poignée de conscrits danois qui se sont portés volontaires pour une mission de six mois dans la longue guerre contre les talibans.

Pour les trentenaires de ma génération, et plus largement pour tous ceux et celles nés après la dernière guerre mondiale, voire décrite et racontée par le menu l’épreuve du feu telle que l’ont vécue des soldats en Irak ou en Afghanistan est une chose presque miraculeuse. Tenter de la raconter et de la mettre en scène sans en trahir la singularité est, en revanche, un exercice infiniment difficile. Metz s'y est, à mon sens, essayé avec talent.




Contrairement à Junger et Hetherington, Metz a fait le choix d'une mise en scène chronologique et structurée, servie par un montage nerveux, une esthétique noire et une bande son qui vient en parfait contrepoint de l'image. Non seulement le résultat est saisissant, mais il est redoutable d'efficacité. Le spectateur assiste à l'inexorable transformation de ces jeunes soldats idéalistes en machines à tuer cyniques et déconnectées du sens de la réalité, accrocs aux montées d'adrénaline que leur procure le combat comme aux jeux vidéos violents auxquels ils s'adonnent entre deux patrouilles

Armadillo dérange en exposant à nu leurs sentiments confus et changeants, tantôt en état de grâce lorsque l'interminable attente leur laisse le temps de méditer, tantôt livrés à la violence brutale et soudaine d'un accrochage avec les talibans. Alors que la caméra reste impassible, le spectateur oscille entre la tristesse des uns, confrontés à la mort accidentelle d'une fillette afghane, et les autres, ivres de gloriole au retour d'un combat, et presque soulagés d'avoir enfin pu dégainer leurs armes. L'auteur s'abstient de tout jugement moral, ni ne tente aucun décryptage par le biais de témoignages filmés en "off", comme dans Restrepo. Le film n'est qu'une radiographie brute d'une guerre dont le spectateur est appelé à faire l'interprétation.

Le résultat final est exceptionnel : tout à la fois étrange et perturbant par son esthétisme cinématographique, il reste, à ce jour, le témoignage le plus dense et le plus abouti sur ce que peut représenter l'expérience singulière de la guerre et d'un déploiement en Afghanistan qu'à des milliers de kilomètres de là, nous ne pourrions que difficilement comprendre sans la présence permanente et intrusive d'une caméra. A voir absolument.
Lire la suite …